Les mots et le regard des autres.

Dans les lieux publics, il est fréquent que le regard des autres se pose sur la personne handicapée, car inévitablement, son comportement se démarquera de la norme : un fauteuil roulant, une canne blanche, un appareillage médical, une déficience mentale ou une démarche inhabituelle etc., attireront l’attention… et c’est bien normal. L’être humain est ainsi fait qu’il prête instinctivement attention à ce qui, de prime abord, n’est pas dans la norme.

Dans les situations où le handicap n’est pas immédiatement visible, il arrive aussi que le jugement des autres soit hâtif : l’enfant qui pique une colère dans le grand magasin pourra être perçu à tort comme un enfant sans éducation ; de même, l’enfant de six ans en poussette pourra être pris pour un enfant gâté et paresseux etc.

Que faire alors ? Ne plus sortir et rester cloîtré chez soi ? Nombre de parents et de personnes en situation de handicap ont appris à ne plus faire attention au regard des autres. Sortir et se mêler à la vie est sans nul doute le meilleur moyen de changer les mentalités et que tout un chacun puisse s’habituer à vivre ensemble.

Accepter ces regards, ces mots qui peuvent être blessants et ne pas s’en formaliser s’apprend avec le temps.

Anonyme :
Au début, j’étais choqué par ces regards insistants sur mon fils. Puis on en a discuté, ma femme et moi. Ses arguments étaient limpides et clairs : « Tu n’aurais pas aussi ton attention attirée si tu voyais quelqu’un comme ton fils dans la rue ? Et puis moi, j’ai décidé de m’en moquer. Je ne vais pas me priver de bouger et de vivre pour cela. Les gens finissent par s’y faire. ». Depuis lors, j’y fais de moins en moins attention. Et lorsque je croise des gens qui nous observent dans la rue, je m’amuse à leur adresser un grand sourire sans arrière pensée négative. (141)


Luc Boland :
Mon fils est aveugle de naissance. Il ne peut concevoir ce que « voir » veut dire et il est heureux de vivre. Mais lorsque nous expliquons sa situation à des gens qui ne le connaissent pas, les réactions sont quasi systématiques. Nous avons droit aux : « Oh, mon Dieu ! », « Quel Malheur ! », « C’est horrible ! », « Oh, le pauvre » etc.
C’est quand même incroyable comme les gens font avant tout une projection personnelle de la situation, traduisez : « Ce serait affreux si j’étais aveugle ». Pourtant, si je vous disais que j’ai un septième sens qui n’a rien à voir avec les autres – appelons-le « le Snurf »-, qu’avec celui-ci je peux percevoir des “snurfies” qui me permettent de « snurfer » à distance, vous ne pourrez concevoir ce sens qui vous est inconnu. Seriez-vous malheureux pour autant ? Vous sentiriez-vous amoindri ? (137)


Alexandre Jollien (IMC & Philosophe) :
Le handicapé ouvre une porte sur la condition humaine. (…) En plus de la pitié, il subit l’infantilisation : présente-toi en titubant dans un restaurant, et pour peu que tu affiches l’air absent que donnent des mouvements brusques, le tutoiement t’accueillera ; et c’est auprès de la personne qui t’accompagne qu’on s’enquerra du menu que tu as choisi. (174)


Un Papa :
Dès que le mot « aveugle » m’a été prononcé, une peur m’a envahi. J’ai mis des années à comprendre pourquoi. J’avais sept ou huit ans. J’étais obligé de prendre le thé avec Mr L., un accordeur de piano qui venait à la maison tous les six mois. Ce fut la seule personne aveugle qu’il m’ait été donné de rencontrer. Cet homme me faisait peur. Sa voix si retenue et son toucher si prégnant étaient des modes de communication en totale opposition avec l’enfant que j’étais. Quant à son regard caché derrière des lunettes noires, il me donnait l’impression paradoxale et désagréable d’être en permanence surveillé, disséqué. Voilà à quoi se résumait pour moi l’image d’un aveugle jusqu’à ce jour où… (13)


Une Maman :
Malgré toute cette peine, la vie doit continuer coûte que coûte. Pour des raisons de conviction morales et psychologiques, nous décidons de garder l’enfant, malgré son handicap. Il a beaucoup de chances pour vivre comme les autres, d’ après les médecins. Mon mari et moi l’annonçons, angoissés, à notre famille. D’abord à ma maman, qui se demande pourquoi ? Par peur de me faire mal, de me blesser, elle n’ose pas trop en parler. Elle ne peut peut-être pas parler non plus de chagrin. Elle sait que je parlerai. Nous sommes une famille qui se soutient et qui forme un bloc. Nous avons vécu, ma maman, mon frère, ma sœur et moi parmi des gens handicapés. Donc cela ne nous gêne pas. Ma sœur en pleure toutes ses larmes et mon frère me soutient avec de bonnes paroles qui nous réconfortent. Nous l’annonçons naturellement à la famille de mon mari, et c’est mal accueilli. Mon beau-père et ma belle-sœur nous demandent de faire une interruption de grossesse. Nous leur expliquons par tous les moyens que même les enfants différents peuvent être heureux et a coûte ont le droit de vivre, mais ils n’entendent rien. A nos enfants, nous le disons avec nos mots et leurs mots, mais avec beaucoup de mal. Quant à la famille plus lointaine, c’est maman qui le dit, mais un peu plus tard. Que notre vie de famille et cette grossesse sont devenues pénibles et angoissantes ! Les médecins nous ont prévenus que notre fils irait en couveuse et en pédiatrie pour ses soins. Enfin, Ie jour J ! Notre fils naît par césarienne obligatoire. Malgré son handicap, mettre un enfant au monde, cela est une joie. Grâce à une photo, nous l’avons près de nous. Dès les premiers jours, ma famille proche va voir l’enfant. Parfois on entend des mots durs de la famille plus lointaine L’autre partie de la famille reste indifférente. Ne voulant pas comprendre le handicap, ils ignorent notre enfant. Nos souffrances et nos peines se sont approfondies avec des questions blessantes : « Pourra-t-on le réparer ? » (Comme une voiture !) « Pourquoi l’avez-¬vous gardé ? » Ils ne veulent pas comprendre que chaque personne, saine ou handicapée, a le droit de vivre telle qu’elle est et comme elle est. Notre vie est un chemin de joie et de grande peine (parfois). Malgré les années qui passent, la famille de mon mari n’a toujours pas accepté notre fils tel qu’il est. L’autre famille l’invite en W.E., tout seul, comme les autres. Pour conclure : un enfant pas comme les autres apporte un grand rayon de soleil chaleureux dans notre vie, nous apportant beaucoup de choses que les autres ne peuvent pas comprendre. (156)