Mario, 37 ans :
Je voyais que mes parents sortaient avec mon petit frère, qu’ils allaient d’un médecin à un autre… c’était agité dans la maison. Ils me laissaient toujours avec l’employée de maison. Tout avait changé dans la maison et personne ne m’expliquait ce qui se passait… Je ne demandais pas non plus. Et ainsi le temps passait, en silence. (28)
Esther, 32 ans :
Mes parents nous ont toujours soutenus pour que nous puissions parler de ce que nous sentions. Eux aussi nous communiquaient leurs peurs et leurs angoisses… Mais aujourd’hui je me rends compte qu’ils ne nous chargeaient ou ne nous accablaient pas non plus, nous n’avions pas à être leurs psychologues comme dans d’autres familles que je connais. Je n’avais rien à cacher de ce que je pensais. Après avoir discuté avec eux, je me sentais soulagée. (42)
Laure, 23 ans :
Jamais je ne me suis senti en droit de dire que j’en avais marre de mon frère handicapé et que je ne l’aimais pas. Pourtant mes parents ont toujours dit qu’ils pouvaient entendre mes sentiments négatifs, et ils ne m’ont jamais délaissée, que du contraire. Ils étaient convaincus que notre famille était parfaite. Mais voilà, ils ne se sont pas rendu compte qu’il m’était impossible de dire combien je souffrais de ne pas avoir un frère normal, combien cela me posait problème de devoir m’expliquer avec mes copines et puis mes copains. Si je leur avais dit ça, ils en auraient été totalement ébranlés et moi, j’aurais détruit leur monde idéal et je me serais sentie encore plus coupable. Alors, j’étais généralement très gentille avec Guillaume, mais je ne m’en occupais pas beaucoup. C’est horrible, j’ai l’impression d’avoir vécu une double vie ! J’ai quitté la maison très tôt pour aller en kot et aujourd’hui, je ne vois que très rarement ma famille, je leur dis que j’ai beaucoup de travail. (13)
Myriam, 15 ans, sœur de Réda, 4 ans, atteint du syndrome de l’X fragile, et de Lina, 6 ans :
Le handicap de mon frère, je n’en parle pas, c’est un sujet tabou. Quelques amies sont au courant, mais c’est tout. Réda a une apparence normale, seul son comportement est trop enfantin par rapport à son âge. Quand on sort, pour aller à la plage ou manger une glace, les passants ne nous dévisagent pas vraiment. Même si, en famille, mon frère est généralement calme, à la maison il pleure pour un rien, parce qu’il a l’âge mental d’un enfant de deux ans et demi. Comme je m’en occupe beaucoup, parfois ça m’énerve, mais j’essaie le plus possible de garder mon calme. Je sais que mon aide est précieuse pour ma mère. Je comprends son langage de bébé, alors je peux lui donner à manger, l’habiller, jouer avec lui et regarder des films. Par contre, il exige que ce soit ma mère qui le couche. Avant, il participait à des séances de groupe avec une psychomotricienne, qui lui faisait faire des puzzles et empiler des cubes. Aujourd’hui il va de temps en temps à la crèche. Il ira dans une école spécialisée quand il aura 6 ans, et je me demande ce qu’il deviendra plus tard. Pour l’instant, je ne parle pas de mes craintes, même pas à ma mère. (39)
Marie-Madeleine :
Mon père a perdu son beau sourire lorsque ma petite sœur trisomique est née, et j’ai compris qu’à partir de ce moment je devais filer doux et ne plus me plaindre. Plus tard, adolescente, je n’aimais pas trop fréquenter les copains, car j’avais l’impression d’avoir les mêmes particularités physiques que ma sœur. Offensée, je n’osais en parler à ma mère et, pour tout oublier, je la secondais sans compter. (16)
Une sœur :
Il n’y a jamais eu de moment précis où on s’est tous réunis autour d’une table et où on m’a officiellement annoncé que ma sœur était handicapée. Simplement, sa différence était flagrante, visible, quotidienne. Au tout début, je ne savais même pas vraiment que c’était un problème, c’était juste comme ça : ma petite sœur était différente des autres, mais sans plus de questions. Plus tard, vers 3 ans, j’ai commencé à poser des questions et mes parents me répondaient au plus proche de la vérité avec des mots que j’étais capable de comprendre (pourquoi elle est différente : parce qu’elle est handicapée. Pourquoi elle est handicapée : à cause d’un accident de chromosomes dans le ventre de maman, c’est quoi un chromosome : etc…) Avec le temps, on a affiné les causes, j’ai pu parler avec ses médecins, mieux comprendre ce qui se passait. A 5 ans, je savais comment on fait les bébés, comment ils grandissent et naissent et comment les accidents génétiques arrivent. Je savais aussi qu’on ne sait pas pourquoi ils arrivent, mais qu’ils sont rares. Je savais que moi, je n’avais rien, et que si un jour on devait avoir un frère ou une sœur, il y aurait très peu de chance pour qu’il ou elle ait un problème. Je savais déjà quels problèmes psychologiques et mentaux précis ma sœur avait, et j’avais appris à communiquer et jouer avec elle au quotidien sans difficulté.
Donc la question de cette maladie a toujours été un élément intégré dans notre vie, au quotidien. On n’abordait pas le sujet, il était là, présent, et on en parlait tout aussi naturellement que des prochaines courses à faire, de la lessive en cours ou de l’écharde dans le doigt de papa. (44)
Emeline, 19 ans, sœur de Jean, 15 ans, atteint d’un polyhandicap :
Un jour, le professeur de français nous a demandé d’écrire une nouvelle et j’ai choisi de parler de mon petit frère, à l’époque sans savoir pourquoi. C’est plus tard que j’ai compris. Il fallait que je sache tout sur lui. Comment mes parents avaient-ils encaissé le choc de son handicap ? Comment moi, petite, je m’en étais occupée ? L’avais-je rejeté ? Maman m’a tout raconté, notamment que des psychologues lui avaient conseillé de faire très attention à moi car je risquais de souffrir. Finalement à tort, puisque j’ai toujours senti son amour. J’ai juste manqué de câlins à certains moments. Et j’ai dû très vite me débrouiller seule. Mais rien de tel pour forger le caractère ! S’agissant de Jean, j’ai une énorme confiance en lui. Pour ses 20 ans, c’est sûr, il valsera dans les bras de maman, comme elle l’a rêvé. Quand je me projette dans l’avenir, je n’envisage plus de vivre avec mon frère sous le même toit. J’ai comme la certitude qu’il sera autonome et qu’un jour, il s’exprimera sans faire de drôles de bruits avec sa bouche. Tant pis si je me berce d’illusions, j’aimerais tellement qu’il ne soit plus exposé au regard des autres. (45)
Laurent :
Laurent est né alors que Loïc, infirme moteur cérébral, avait 10 ans. Personne ne lui a jamais rien dit ni de la naissance de son frère, ni du diagnostic de son atteinte. S’il a parfois surpris des adultes qui en parlaient entre eux, il n’a toutefois jamais osé leur poser de questions à ce sujet. Il a toujours été persuadé que cette déficience ne pouvait être due au hasard. Quelques fois, il pensait que ses parents avaient commis une faute ; d’autres fois, que c’étaient les médecins. Adolescent, il a consulté le dossier médical de Loïc, que son père avait « oublié » sur la table. Il pense que ce dernier voulait qu’il en prenne connaissance mais ne lui a pas donné en main propre, pour ne pas avoir à lui en parler. A la lecture du dossier, Laurent a compris que l’hypothèse de l’origine génétique avait été émise, sans n’avoir été ni confirmée ni infirmée par la suite. Il s’en doutait, car il avait déjà entendu dire que ses parents avaient attendu dix ans avant de le concevoir, précisément parce qu’ils craignaient que leur deuxième enfant ne soit également atteint. Il a ressenti un grand malaise à la lecture de ces informations, mais a reposé le dossier sur la table sans rien en dire. Convaincu que, s’ils ne l’ont pas informé, c’est parce que ses parents se sentaient coupables ou avaient honte. Par ses questions, il ne voulait pas réactiver leur souffrance. Ce faisant, il protège LE secret, lui donne un poids et se l’approprie, se privant par là-même de recevoir une réponse à ses questions. (46)