Poursuivre ou non la grossesse ?

Qui ne rêve pas d’un bébé parfait ? Qui ne voudrait pas éviter à tout prix que son enfant soit malade, porteur de déficience ou handicapé dans sa vie ?

Avec l’annonce d’un diagnostic anténatal de déficience, vous êtes amenés à faire des choix, en manquant souvent de temps pour prendre un recul qui serait bien nécessaire. Même si vous aviez déjà réfléchi à cette éventualité avant l’annonce, peut-on vraiment prévoir la manière dont on réagira lorsque cette situation virtuelle devient brutalement réelle. De même, les informations sur lesquelles vous pouvez vous appuyer ne sont pas toujours précises ou bien assimilées.

Trois options sont possibles : donner la vie à l’enfant et le garder, lui donner la vie et le confier à une œuvre d’adoption, ou encore interrompre la grossesse.

La présence d’une déficience offre la possibilité d’opter pour une interruption médicalisée de grossesse (IMG). Précisons bien que cette option n’est pas à comparer avec une décision d’interruption volontaire de grossesse (décision prise par des couples ou par des mères, en l’absence d’un diagnostic anténatal de déficience, et pour des raisons qui leur sont propres).

Des critères objectifs, tels que l’état d’avancement de la grossesse, la nature de l’anomalie et les risques éventuels pour la santé de la mère entrent en ligne de compte. L’équipe médicale peut éclairer votre réflexion et s’assurer que votre décision tient compte de toutes ces données.

Dans une société qui idéalise la perfection, la santé, la toute-puissance de la médecine, prévoir une anomalie et la laisser venir est difficile, voire inconcevable pour certains. Dans l’esprit de parents qui rêvent du meilleur pour leur enfant, savoir que son parcours sera entaché de souffrance et pourtant lui donner la vie est également difficile.

Avant toute décision, il est nécessaire de s’octroyer un temps de réflexion, d’élaboration et de dialogue, le plus long possible. Sans ce temps, vous pourriez, par la suite, avoir plus de mal à assumer votre décision, quelle qu’elle soit. Vous serez cependant peut-être tentés de vous décider vite, parce que vous craindrez d’être encore plus déstabilisés au fil du temps. Des proches vous pousseront peut-être à opter rapidement pour une interruption de grossesse « avant que vous ne vous attachiez trop à l’enfant ». Des proches, au contraire, tenteront peut-être de vous barrer immédiatement la voie de l’IMG pour des principes moraux qui leur appartiennent. Des médecins pourraient vous proposer un peu trop rapidement un rendez-vous pour une IMG, comme si c’était la conséquence automatique du diagnostic etc.

Or de nombreux médecins et psychologues qui se sont penchés sur cette question, affirment au contraire que pour choisir de vivre avec ou sans l’enfant, il faut que les parents puissent s’exprimer le plus pleinement possible, pour réaliser ce qu’ils vivent et donner une réalité à cet enfant. Pouvoir mettre des mots, aussi violents soient-ils, est un moyen essentiel pour se rétablir de cette terrible expérience.

Opter pour une interruption médicalisée de grossesse, c’est prendre une voie que l’on ne connaît pas et qui peut être très effrayante voire très culpabilisante pour certains. Il est non seulement légitime, mais aussi indispensable d’anticiper, de poser des questions sur les actes concrets qui seront posés par le médecin, et de réfléchir à ce qui pourrait vous soutenir pour vivre cet événement de manière à pouvoir par la suite dépasser ce traumatisme. L’équipe médicale, sur base de son expérience, pourra vous proposer – et non vous imposer- une aide précieuse.

Opter pour la poursuite de la grossesse c’est s’engager sur un autre chemin qui n’évite ni la culpabilité ni l’angoisse. Certains parents auront envie de s’informer au maximum, d’autres préféreront découvrir leur enfant tel qu’il se montrera au fil du temps. Pour certains parents, il sera important de se faire aider par d’autres parents ou par des professionnels. D’autres n’éprouveront pas ce besoin. C’est vous-mêmes qui êtes les mieux placés pour savoir ce qu’il vous faut, pour refuser certaines aides et en accepter ou en rechercher d’autres.

Au final, la décision vous appartient, et c’est vous qui serez amenés à poursuivre votre vie avec cet enfant ou sans lui.

Sophie :
« je m’appelle Sophie. Il y a 10 ans (j’avais 25 ans),  j’ai subi une IMG à 5 mois 1/2 de grossesse. Mon enfant était trisomique 21. La douleur est toujours présente malgré une vie bien remplie et 2 beaux enfants. Le diagnostic était sans appel mais la question se pose toujours pour moi : ai-je eu raison ? » 191


Laly:
« Je me suis pendant quelques instants demandé si notre décision de l’IMG avait été la bonne. Ce qui est sûr c’est que cette décision a été la nôtre (mon mari et moi) et que personne d’autre n’aurait pu la prendre à notre place. Nous nous sommes posé un tas de questions : Hugo ne souffrira-t-il pas de son grave handicap dans une société déjà difficile en temps normal ? Survivra-t-il à la naissance ? Existe-t-il des structures adaptées pour des enfants comme lui ? Serons- nous et notre couple sera-t-il assez solide pour affronter tous ces problèmes ? » 192


Claire :
« Je me rappellerai, toujours le visage fermé de ma gynéco devant l’écran où elle voyait mon bébé. « Toujours décidée pour l’IVG ? » m’a-t elle demandé. J’ai fait oui de la tête. « C’est sans doute mieux comme ça, a-t-elle dit, cet enfant ne se développe pas normalement. »
Elle a voulu m’expliquer sur l’écran ce qu’elle voyait d’anormal. Je l’écoutais à peine. Cet enfant, j’avais soudain envie de le garder. Peut-être parce qu’il avait un problème, parce que je me sentais responsable de lui, ou tout simplement parce que je me rendais compte qu’il avait déjà une existence…
En rentrant à la maison, je n’arrêtais pas de me répéter : « Claire, tu ne peux pas faire ça, cet enfant a besoin de toi. » Quand j’en ai parlé à mon mari, il m’a regardée avec des yeux ronds.
Connaissant mon caractère têtu, mon mari n’a pas insisté. Il devait se dire que c’était une lubie, qu’après d’autres examens, je me rendrais compte de mon erreur, qu’il serait encore temps pour un avortement thérapeutique. C’est aussi ce que m’a proposé ma gynéco à mon quatrième mois de grossesse.(…)
Marion m’a transformée. (…) Je suis devenue quelqu’un de meilleur, de plus profond, et ça, c’est à Marion que je le dois … » 126a


Sandrine :
« Je suis enceinte actuellement de 5 mois. Nous venons d’apprendre que j’étais conductrice de la maladie de Steinert et que le bébé avait aussi le gène. Etant donné que les risques pour le bébé sont assez importants nous avons décidé de faire une IMG. Comme je suis à plus de 22 semaines, nous devons organiser des obsèques, le déclarer etc. Nous nous posons beaucoup de questions : faut-il vraiment demander à le voir ? Est-ce que les photos sont indispensables pour notre deuil ? Comment organiser des obsèques ? Bref plein de questions et de doutes. » 193


Ess (maman) :
« On nous a appris que notre bébé est atteint d’une maladie très rare, la maladie orpheline de Smith Lemli Opitz. Bref, un retard mental important, un enfant qui n’aurait pas su manger seul ou parler ou marcher, etc. Notre décision a été de ne pas le rendre malheureux toute sa vie, et de ne pas rendre non plus sa grande sœur malheureuse. Nous avons donc décidé d’interrompre ma grossesse, alors que j’étais à 30 semaines.  Ethan est né sans vie, la plus grosse épreuve de toute ma vie. » 194


Fait rapporté par une professionnelle :
Mr et Mme X ont une petite fille en bonne santé et attendent un deuxième enfant. Lors d’une échographie, ils apprennent que le bébé, une petite fille, présente une anomalie importante : un spina-bifida.

Les médecins leur expliquent les conséquences de cette malformation, dont l’aspect et l’emplacement laissent prévoir d’importantes séquelles au niveau de la marche et de l’incontinence. Ils racontent, quelques années plus tard, qu’ils ont se sont alors retrouvés face à plusieurs médecins, « un vrai tribunal » (c’est comme ça qu’ils l’ont vécu), les pressant de prendre la décision d’une interruption médicale de grossesse. Ils se souviennent que quelqu’un a même avancé comme argument le coût pour la société d’une telle pathologie. Attachés à certains principes religieux et fidèles à leur propre vision de la vie, ils décident de garder l’enfant. Les problèmes médicaux de cette petite fille s’avèrent effectivement assez lourds. Lorsqu’elle a 5 ans, après beaucoup d’hésitations et de recherche d’informations, ils décident d’avoir un autre enfant. A quelques mois de grossesse, ils apprennent qu’il s’agit d’un garçon, et que celui-ci présente malheureusement une anomalie de même nature. Le couple décide d’avoir recours à une interruption médicale de grossesse. Ils disent ne pas regretter leur première décision et avoir gardé les mêmes convictions religieuses. Mais pour pouvoir bien s’occuper de leurs deux filles, ils ne peuvent assumer un autre enfant porteur de cette pathologie. Ils expliquent aussi qu’ils ne se sont pas sentis pris de court, comme la première fois, même si la nouvelle les a profondément bousculés. 129


Georgie Hill (épouse de Damon Hill, coureur automobile) :
J’étais très jeune et les médecins n’ont pas jugé que ma grossesse présentait un risque. Ils n’ont donc pratiqué aucun examen particulier. Aujourd’hui, je ne regrette rien parce que si je les avais faits, ces tests, Oliver ne serait pas là. Or il est mon bonheur. C’est une joie de le voir progresser grâce à l’amour de ses parents et de ses frères et sœur. Il est notre fierté. 102